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Du banquet gaulois au sacrifice romain. Pratiques rituelles dans le sanctuaire de Corent, cité des Arvernes Matthieu Poux1, Sylvain Foucras2 Avec la collaboration de Matthieu Demierre et Magali Garcia Connu essentiellement pour ses vestiges de la fin de lʼépoque gauloise, lʼexemple du sanctuaire de Corent sʼintègre à plus dʼun titre dans la problématique du sacrifice animal en Gaule romaine : - Parce quʼil est le seul sanctuaire indigène à avoir fait lʼobjet de fouilles récentes dans une région, le territoire arverne, où les pratiques religieuses précédant la conquête étaient jusquʼalors totalement méconnues ; - Parce que son activité est essentiellement axée sur les pratiques alimentaires collectives, matérialisées par les vestiges de grands festins de viande animale et de vin, dont lʼétude est favorisée par la conservation des niveaux de sol ; - Parce quʼil documente un faciès tardif, les second et premier siècles avant notre ère, propre à illustrer la transition entre le substrat de pratiques indigènes antérieur à la guerre des Gaule et les innovations apportées par la romanisation ; - Parce que son activité a perduré sans solution de continuité jusquʼau début du IVe siècle de notre ère, ce qui permet dʼétudier lʼévolution de ces mêmes pratiques au cours de lʼépoque romaine ; - Lʼanalyse des dépôts liés à ces pratiques est dʼautant plus intéressante quʼelle peut sʼappuyer sur un faisceau convergent de témoignages écrits concernant spécifiquement le territoire arverne – Poseidonios dʼApamée, Strabon, César et Florus, notamment. 1. Présentation des vestiges Le sanctuaire de Corent sʼinscrit à lʼintérieur dʼun vaste oppidum occupé sur plusieurs dizaines dʼhectares, identifié à la Capitale des Arvernes historiques entre la fin du IIe et le milieu du Ier s. av. J.-C. Les fouilles récentes3 confirment lʼexistence dʼun habitat étendu et très structuré, organisé autour dʼun imposant lieu de culte occupant le centre géographique du plateau, fréquenté entre la fin de lʼâge du Fer et le début du Bas-Empire. Découvert et sondé au début des années 1990, ce sanctuaire a fait lʼobjet de campagnes de fouille de 2001 à 20054. Les vestiges mis au jour nʼen restituent quʼune vision partielle : ceux situés dans la moitié sud-ouest, moins profonds, ont été arasés jusquʼaux fondations par lʼaction des labours. 1.1 Le sanctuaire dʼépoque tardo-laténienne Le sanctuaire laténien succède à une longue séquence dʼhabitats attribués au néolithique final, à lʼâge du Bronze ancien, moyen et final, ainsi quʼau premier âge du Fer (Hallstatt D1), avec lesquels il nʼentretient aucun lien de continuité chronologique ni fonctionnelle. Son plan sʼorganise autour de deux enclos quadrangulaires de forme et de taille pratiquement identiques, inscrits au centre dʼun grand péribole palissadé de forme trapézoïdale, dʼenviron cinquante mètres de côté (fig. 1). Le mobilier archéologique issu de ces différentes structures se distingue par son abondance et sa diversité : près de 150 000 ossements animaux (pour un poids global avoisinant la tonne), cinq tonnes de tessons dʼamphores républicaines, plus de 800 monnaies et plusieurs milliers dʼoffrandes en fer, en bronze, en verre et en os, de toute nature. Ce mobilier, dont plusieurs articles ont déjà donné un premier aperçu5, témoigne dʼune activité cultuelle rythmée par la tenue de repas publics, assortis de sacrifices animaux et de libations de vin. Lʼétude simultanée de ces dépôts et de leur contexte permet dʼassigner une fonction bien précise à certains aménagements, qui jouaient un rôle bien spécifique dans le rituel. Deux bâtiments fouillés au centre du sanctuaire (enclos A et B), de forme et de plan pratiquement identiques, ont été reconnus comme les principaux foyers de lʼactivité cultuelle. Ce type de plan géminé, surtout connu pour lʼépoque romaine, témoigne vraisemblablement dʼune activité rituelle scindée en deux pôles plutôt que dʼun culte dédié à deux divinités différentes. Des bâtiments ne subsistent que le creusement des tranchées de fondation et les calages en pierre marquant lʼemplacement de cloisons, associés à des concentrations de clous de menuiserie témoignant de constructions en bois relativement élaborées. Leur description sʼappuie sur la fouille du premier enclos (A), le second (enclos B) ayant été presque entièrement arasé par les labours. Ses fossés délimitent un espace carré en terre battue, dʼenviron 10 m par 8 m de côté. Lʼabsence dʼéléments de couverture ne permet pas de déterminer sʼil sʼagit dʼun bâtiment couvert ou dʼun simple enclos, de type autel à ciel ouvert ou nemeton. 1 Responsable des fouilles de Corent, Université Lyon 2-Lumière - EPHE, UMR 5138 (MOM, Lyon) et 8546 (Paris, ENS). Doctorant, Université de Bourgogne, UMR 5594. 3 Campagnes 2005-2006, inédites : rapports de fouilles consultables en ligne sur le site Internet http://luern.free.fr 4 Guichard et Collis 1992 ; Guichard et Dunkley 1993 ; Poux et alii 2002 ; Poux 2003 a et b. 5 Poux et alii 2002 ; Poux 2005, 2007 et à paraître. 2 Archéozoologue, —163— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain Fig. 1 : Corent, plan simplifié du sanctuaire dʼépoque laténienne. 1 - Porche dʼentrée ; 2 – Péribole : Fossé dʼimplantation de la palissade en bois (premier état) et trous de poteau de la galerie monumentale en bois (second état) ; 3 - Bâtiment septentrional ; 4 - Bâtiment méridional ; 5 Enclos à bétail ; 6 - Bâtiment sur poteau ; 7 - Fosses libatoires ; 8 - Fosse sacrificielle (?) ; 9 - Pierre dʼautel (?). Dans lʼaxe de lʼentrée ont été aménagées deux structures : la première consiste en une grande fosse vide de forme circulaire, profonde dʼenviron 1 m, comparable à « lʼautel creux » des sanctuaires belges ; la seconde, en un gros bloc quadrangulaire en basalte grossièrement équarri, implanté dans une fosse et calé à lʼaide de tessons de céramique. La concentration des dépôts (en particulier, de monnaies et de crânes de moutons) en périphérie du bloc invite à lʼinterpréter comme une pierre dʼautel, ce que semblent confirmer les nombreuses traces dʼincisions par lame relevées à la surface du bloc. De larges portions du sol de circulation ont été mises en évidence entre les deux bâtiments, ponctuées dʼaménagements dédiés aux activités cérémonielles : aires de circulation empierrées ou pavées de tessons dʼamphores, encadrant des structures en creux utilisées en guise dʼautels. Lʼespace situé entre les deux enclos, en face de lʼentrée du sanctuaire, comprenait quatre amas de tessons dʼamphores organisés : des panses décolletées et des cols complets ont été disposés en couronne autour de cavités rectangulaires peu profondes, revêtues dʼun cuvelage en bois. Visiblement destinées à accueillir une partie du vin —164— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain importé sur le sanctuaire, ces cavités remplissaient sans doute le même office que les « puits à libations » aménagés sur dʼautres sanctuaires contemporains : le service et le mélange des boissons, leur distribution et leur offrande 6. Le décapage des niveaux situés sous le fanum romain découvert en 2003 dans lʼaxe de lʼentrée (voir infra) a révélé la présence, à cet emplacement, de structures antérieures à lʼépoque romaine. Malgré le fort degré dʼarasement des vestiges, elles se signalent par quelques trous de poteau, associés à des niveaux de combustion mêlés à des épandages de faune, dont lʼépaisseur atteint par endroits jusquʼà 30 cm. Ces vestiges très lacunaires et très perturbés par les constructions dʼépoque romaine suggèrent lʼexistence dʼune structure légère, dont la forme et la fonction exactes ne peuvent être précisées : lʼabsence de cloisons intermédiaires plaide pour une sorte de porche à ciel ouvert ou simple abri couvert sur poteaux porteurs. Lʼabondance des restes de faune à lʼaplomb des poteaux suggère un lien avec les activités de boucherie sacrificielle. La couche supérieure du fossé de péribole adjacent a livré des dépôts cendreux résultant de plusieurs vidanges de foyer, dans laquelle gisait un grand crochet coudé en fer, pourvu dʼun œillet de suspension, identifié à une sorte de potence servant à lʼaccrochage des carcasses animales en vue de leur découpe et/ou de leur cuisson. Dans lʼangle sud-ouest du sanctuaire ont été recoupés deux alignements perpendiculaires, formés de petits trous de poteaux espacés dʼun mètre, délimitant un espace dʼau moins 15 m de côté. Lʼabsence de lignes de poteaux intermédiaires interdit dʼy restituer un bâtiment. Il sʼagit plutôt, en lʼoccurrence, dʼun grand enclos à ciel ouvert délimité par une barrière ou une palissade de faible hauteur. Toutes ces structures sʼinscrivent au centre dʼune vaste enceinte périphérique de 45 x 43 m de côté. Ce péribole est délimité, dans son premier état, par un fossé profondément entaillé dans le substrat rocheux, au profil en « V », profond de 1,50 m et large dʼenviron 3,50 m à lʼouverture. Son tracé préfigure celui du futur péribole gallo-romain qui a lui-même fixé les limites de la parcelle actuelle. La section inférieure du fossé est constituée dʼune rigole de section quadrangulaire, qui a conservé par endroits la trace de négatifs de poteaux de bois : ce dispositif était destiné à maintenir une palissade en bois, implantée dès lʼorigine au fond du fossé. Son maintien était assuré par une épaisse couche de remblai formée par les terres dʼexcavation, occupant tout le tiers inférieur du comblement. Une interruption du fossé au centre de la branche Est signale un dispositif dʼentrée, renforcé dès lʼorigine par un porche monumental sur poteaux massifs. La mise en évidence de mobiliers accumulés de part et dʼautre de la palissade matérialise un premier horizon de dépôt : cet horizon a livré quelques fragments dʼarmes 6 7 (fourreaux dʼépée, pointe et talon de lance) datables de la fin de La Tène moyenne. Soumis pour certains dʼentre eux à des mutilations volontaires, ils constituent peut-être le reliquat de trophées suspendus à la palissade, comparables à ceux documentés sur les sanctuaires belges contemporains7. Ces éléments précoces associés à des céramiques caractéristiques de la transition entre La Tène C2 et D1, qui se retrouvent dans les niveaux supérieurs sous une forme résiduelle, situent les débuts de lʼactivité du sanctuaire dans le troisième quart du IIe siècle avant notre ère. Ce premier dispositif est démantelé dans le courant du Ier s. av. J.-C. et la dépression engendrée par le tassement des terres de remplissage du fossé, intégralement remblayée. Il fait place à un nouvel aménagement monumental soutenu par quatre rangées de 12 à 13 poteaux de bois creusés de part et dʼautre du fossé, qui supportaient à lʼorigine une toiture en bois. Bien que fortement perturbé par les constructions dʼépoque romaine, le plan des aménagements invite à restituer une vaste galerie, ouverte sur la cour centrale à la manière dʼun quadriportique. Lʼespace interne de la galerie comporte un sol discontinu de pierres, de graviers et de tessons dʼamphores, jonché dʼun épandage très dense dʼossements, de céramiques, dʼamphores et dʼobjets métalliques divers : débris dʼarmement (épée, bouclier), de char (clavettes et appliques en fer, rivets en bronze émaillé) et dʼustensiles culinaires caractéristiques du banquet aristocratique (chaudron, seau, gril, fourchettes), parures (fibules en bronze, torque en fer, bracelets et perles en verre, en ambre ou en lignite), monnaies, « jetons » retaillés dans des céramiques et tessons inscrits en caractères grecs. À cinq emplacements, lʼintérieur de la galerie est cloisonné par des alignements de blocs de basalte et de gros fragments dʼamphores, pavés de tessons de panses dʼamphores et jonchés dʼossements. Chacune de ces alvéoles est pourvue dʼune structure de combustion de type foyer culinaire. Lʼentrée de ce second péribole est signalée par une structure monumentale (tour-porche) formée dʼau moins trois alignements de poteaux de bois, dont le plan nʼa été reconnu que partiellement. Ses abords ont livré de nombreux indices attestant lʼexistence, à cet emplacement ou à proximité immédiate, dʼun atelier monétaire reconnu de longue date : ratés de frappe et de coulée, balance de précision, outils de métallurgiste, pastilles en plomb, fond de creuset et matrice de coin monétaire, qui vient sʼajouter aux deux coins anciennement découverts sur la parcelle contiguë au sanctuaire. 1.2 Le sanctuaire dʼépoque romaine Lʼactivité du sanctuaire se poursuit à lʼépoque romaine. La stratigraphie des dépôts et le plan des aménagements ne trahissent aucune rupture notable, à lʼépoque de la conquête et dans les décennies précédant le changement Poux 2004. Brunaux et alii 1985. —165— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain Fig. 2 : Corent, plan simplifié du sanctuaire dʼépoque romaine. 1 - Entrée ; 2 - Temple à galerie périphérique (fanum) ; 3 - Galerie monumentale maçonnée (péribole) ; 4 - Bâtiment rectangulaire maçonné. dʼère. Les limites initiales et le plan de lʼespace sacré sont pieusement conservés durant toute la période du HautEmpire, qui se traduit par une simple monumentalisation des structures existantes. Entre le milieu du Ier siècle av. J.-C. et le début du IIIe siècle de notre ère, le sanctuaire est entièrement reconstruit, selon de nouvelles techniques importées avec la Conquête. Cloisons en torchis et poteaux en bois cèdent la place aux murs et colonnes maçonnées, sans disparaître complètement. À lʼinstar dʼautres lieux de culte majeurs, ils sont lʼobjet dʼun « rhabillage » qui ne modifie pas fondamentalement leur structure (fig. 2). À la destruction de la galerie monumentale en bois succède la construction dʼune nouvelle galerie maçonnée en pierres calcaires, dont les fondations ont été recoupées le long des branches nord et est du péribole. De ce premier péribole romain, édifié entre lʼépoque de la Conquête et le début du règne dʼAuguste, ne subsistent que quelques soubassements et fragments dʼarchitectures en pierre. Une double enfilade de colonnes et de piliers reliées par un petit muret est matérialisée par quelques bases de colonnes et de piliers en arkose : surmontés dʼélévations maçonnées (quarts de rond liés au mortier et revêtus dʼenduits de couleur rouge) et associés à de rares éléments dʼarchitrave, leur emplacement coïncide très précisément avec celui des poteaux en bois dʼépoque gauloise. À la même phase dʼaménagements précoce se rattache aussi lʼédifice cultuel rectangulaire maçonné qui succède au petit enclos A (ainsi, par symétrie, quʼà lʼenclos B ?), de même que lʼhabillage en pierres et dalles calcaires des cuves libatoires situées face à lʼentrée. La fin du Haut-Empire marque un réaménagement complet du péribole, délimité par un nouveau portique monumental entièrement maçonné, revêtu dʼenduits polychromes et divisé en espaces cloisonnés. Ce portique édifié à la fin du IIe ou au début du IIIe siècles (tesson Drag. 37 de facture tardive, intégré aux maçonneries) comporte deux à trois étapes de construction, qui seront précisées —166— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain ultérieurement par le biais dʼétudes architecturales, céramologiques et numismatiques plus approfondies. Lʼespace interne du sanctuaire est également restructuré, avec lʼédification dʼun grand fanum situé dans lʼaxe de lʼentrée : contemporain de lʼédification de la galerie, à la charnière du IIe et du IIIe siècles, son plan classique à cella et galerie périphérique a pu être restitué à plus de 50 %. Il est probable quʼil remplace les deux petits fana (?) implantés à lʼemplacement des enclos dʼépoque gauloise, fondus en un seul édifice cultuel. Des radiers de sols et vestiges de dallages fortement arasés témoignent dʼun aménagement de la cour du sanctuaire, à lʼintérieur de laquelle plusieurs aires de dépôt dʼoffrandes (monnaies, fibules) ont été mises en évidence. Un petit puits parementé, aménagé à gauche de lʼentrée, peut être mis en relation avec les ablutions rituelles observées à lʼentrée de la plupart des sanctuaires de cette période. Les sols gallo-romains fouillés en périphérie du portique ont livré un mobilier hétéroclite (sigillées, fibules, bagues, pierres dʼintaille, clés, monnaies, figurines en bronze, militaria…) qui témoigne dʼune fréquentation continue du sanctuaire au cours des trois premiers siècles de notre ère. Lʼabandon définitif du sanctuaire se place dans le courant du IIIe s. ou au tout début du IVe s. Les mobiliers les plus récents sʼy résument à quelques monnaies datées du début du Bas-Empire recueillies sur le sol de la cour, qui sʼajoutent à deux fibules cruciformes anciennement découvertes sur le plateau. 2. Les vestiges osseux Face aux quantités considérables de vestiges animaux prélevés, lʼétude sʼest limitée à une sélection représentative dʼenviron 15 % du mobilier faunique, soit un total de 23000 restes : seul le mobilier issu des deux enclos internes a fait lʼobjet dʼune étude exhaustive8, tandis que celui lié au péribole nʼa fait lʼobjet que dʼéchantillonnages effectués en divers tronçons, principalement dans ses branches septentrionale et orientale, qui concentraient la majorité des vestiges. 2.1 Enclos A Le comblement des fossés de fondation du bâtiment septentrional (enclos A) a livré un mobilier faunique très abondant, atteignant 4200 ossements pour les branches occidentale, méridionale et septentrionale, la branche ouest en comptant plus de 3000 à elle seule (fig. 3). Il se caractérise par lʼabondance des restes de caprinés : ils représentent 71 % du faciès faunique, dominant largement le porc (20 %) et les autres espèces comme le bœuf, le chien et la volaille (6 % au total). Lʼévolution des pratiques dans les différentes phases dʼutilisation du fossé montre que les caprinés restent lʼespèce privilégiée durant toute lʼépoque gauloise, même si la part des porcs augmente nettement dans la dernière phase dʼutilisation du fossé, au détriment de celle des caprinés. 8 Fig. 3 : Enclos A, fossé ouest : vue générale des dépôts de faune (fouille 2003). Les animaux présents sur le site ne semblent pas différer des espèces locales : il sʼagit principalement de moutons dʼélevage. La présence des chèvres, bien quʼattestée, reste anecdotique. Il sʼagit dʼanimaux adultes (âgés de deux à quatre ans), avec une forte proportion dʼanimaux âgés, voire même séniles (plus de cinq ans), inhabituelle dans ce type de dépôts ; de même quʼune assez faible représentation dʼindividus juvéniles, qui constituent pourtant une alimentation de meilleure qualité. Pour les porcs, il apparaît que les jeunes adultes dominent ; bien que difficile à établir avec exactitude, la présence de cochons de lait ne doit pas être sous-estimée. Il nʼapparaît pas quʼune sélection des sexes ait été pratiquée, pour aucune des espèces. Les femelles semblent plus nombreuses, mais les individus mâles ne sont pas absents. On constate, en particulier, la présence dʼindividus mâles châtrés pour les caprinés. Lʼestimation du nombre dʼindividus établie à partir des mandibules donne un minimum de 228 caprinés. Pour les autres espèces représentées, la fragmentation des os ne permet pas dʼétablir une estimation réaliste du nombre dʼindividus. Les parties anatomiques représentées dans le fossé diffèrent fortement, en revanche, de celles habituellement rencontrées sur les sanctuaires (fig. 4). Pour les caprinés, la part des restes issus de la tête est nettement majoritaire puisquʼelle représente 63 %du nombre total de restes. La part des parties les plus propices à la consommation nʼest que secondaire : les membres (gigots et épaules) représen- S. Foucras, données issues dʼun mémoire de maîtrise inédit, soutenu en 2002 à lʼUniversité de Lyon II. —167— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain Fig. 5 : Enclos A : crâne de mouton présentant des traces dʼélargissement de lʼoccipital. Fig. 4 : Enclos A et B : distribution des os dʼovicaprinés par partie et répartition dans les fossés dʼenclos (état des fouilles 2001 et 2002, hors branche occidentale de lʼenclos A). tant 14 % de lʼeffectif, les côtes et les vertèbres, à peine 12 %. Les restes issus des extrémités (pieds et mains) occupent une part importante, avec 11 % de lʼeffectif. Il sʼagit là de parties non consommées, qui sont généralement exclues lors de la découpe et apparaissent rarement dans les reliefs de banquets et les dépôts cultuels9. Les restes de porcs correspondent davantage aux pratiques courantes. Comme pour les caprinés, la tête est nettement présente, avec 34 % du mobilier porcin du fossé. Les quartiers les plus nobles, jambons et épaules, sont tout de même bien représentés, avec 30 % de lʼeffectif. La part des restes de pieds est, là encore, relativement importante. Lʼétude des vestiges osseux rend compte de pratiques liées au banquet et à la consommation des animaux abattus : les traces de découpe témoignent de pratiques bouchères établies reconnues sur de nombreux sites (vertèbres arasées, mandibules sectionnées sagittalement...). De même, la plupart des canines de porcs, ainsi que certains talus (extrémités de membres) portent les traces dʼun passage à la flamme. On mentionnera, plus particu- lièrement, une pratique singulière sur au moins 10 crânes bien conservés, qui consiste à découper lʼoccipital le long des soudures du temporal (fig. 5). Le fait que celle-ci ne sʼexerce, a priori, que sur des crânes de moutons, pourrait témoigner dʼune volonté de prélever la cervelle tout en préservant la boîte crânienne. Cette pratique peu commune peut être interprétée de deux manières : elle témoigne, dans un contexte de consommation, de la valeur particulière assignée à la cervelle de mouton. Elle peut précéder, dans un cadre strictement cultuel, la préservation et lʼexposition des crânes, dont elle facilitait lʼaccrochage sur la palissade qui cernait lʼenclos… La répartition des restes dans le fossé témoigne dʼun agencement particulier. Les vestiges animaux répartis dans lʼensemble des branches du fossé sont plus concentrés dans certaines parties du fossé. On note également que certaines parties anatomiques sont concentrées dans certains secteurs du fossé : la branche sud du fossé comprenait une majorité de crânes, conservés intacts et volontairement regroupés en périphérie du bloc de basalte faisant face à lʼentrée (fig. 6). La branche nord rassemblait, par contraste, une majorité des mandibules retrouvées dans lʼenclos. La branche ouest du fossé dʼenclos, fouillée en 2003 sʼest révélée être la partie la plus riche en mobilier Fig. 6 : Enclos A, fossé ouest : dépôt de crâne de mouton (fouille 2003). Méniel 2001, p. 81. —168— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain faunique. Mieux conservé que dans les autres branches, il présente les mêmes caractéristiques : il sʼagit, pour une très large majorité, de restes de caprinés, moutons pour lʼessentiel, avec une majorité dʼindividus adultes, mâles et femelles. Comme pour la branche sud de lʼenclos, se sont les restes issus de la tête qui dominent. On retrouve de nombreux crânes entiers (fig. 7), rassemblés de la même manière. Les mandibules sont également nombreuses. Les pratiques de sélection des espèces et de tri des parties sont toujours particulièrement visible dans cette branche du fossé. On retrouve également celle de lʼablation de la partie occipitale des crânes de caprinés. Laquelle, si elle nʼest pas pratiquée de façon systématique, concerne une majorité des crânes. Les autres espèces occupent une place très minoritaire : porcs et bœufs, représentés par quelques os épars issus pour lʼessentiel des membres ou des mâchoires. La place faite au chien est à souligner, puisquʼil compte pour une part non négligeable des restes dans la branche Ouest. La distribution anatomique des parties est conforme aux vestiges caprins, avec une forte prédominance des parties crâniennes. Par ailleurs, un individu complet, en connexion anatomique, a été déposé au centre du fossé avant que la décomposition soit achevée. Il sʼagit dʼun mâle adulte, dʼau moins trois ou quatre ans (oblitération des sutures interfrontales). Aucune trace de fracture ou de pathologie nʼa été décelée, pas plus que de traces de découpes ou de consommation. 2.2 Enclos B Le second bâtiment situé au sud de la parcelle (enclos B) constitue le fidèle pendant du premier. De morphologie et de taille identiques, ses fossés ont livré des dépôts de même nature, au sein desquels la faune domine très largement. Seuls ceux situés dans le tiers nord de lʼenclos ont été épargnés par lʼarasement des labours. Déjà recoupé lors dʼune tranchée de sondage effectuée en 1993, sa branche septentrionale avait livré plus de deux cents mandibules de caprinés. La poursuite de la fouille, en 2002 a mis à jour 40 nouvelles mandibules, accompagnées de quelques ossements dʼautre nature, en quantités plus anecdotiques. Lʼensemble est, là encore, largement dominé par les caprinés. Les mandibules découvertes en 2002 qui se prêtent à une distinction montrent que les moutons sont les plus représentés (25 individus, pour 9 de chèvres. Lʼétude de 1993 avait déterminé 64 mandibules issues de moutons, tous immatures – les mandibules dʼadultes nʼayant pas permis dʼapporter une indication sur ce point. Il sʼagit pour lʼessentiel dʼanimaux adultes (de 2 à 5 ans), comme cʼétait le cas pour les animaux du fossé dʼenclos A. Les mandibules de caprinés, qui constituent lʼessentiel du dépôt, impliquent une sélection drastique des os qui ne peut être imputée quʼà une action humaine délibérée (fig. 8 à 10). Tout au plus note-t-on la présence, en 2002, de trois mâchoires supérieures complètes, ainsi que 6 maxillaires. La présence de deux fragments de crânes, Fig. 7 : Enclos A, fossé ouest : dépôt de crâne de chien (fouille 2003). Fig. 9 : Enclos B : alignement de mandibules dʼovicaprinés (fouille 2002). Fig. 8 : Enclos B : dépôt de mandibules dʼovicaprinés au centre du fossé nord (sondage 1993, photo V. Guichard). Fig. 10 : Enclos B : mandibules dʼovicaprinés disposées par paires (fouille 2002). 10 Guichard et Dunkley 1993 ; P. Méniel, rapport inédit (ARAFA, Mirefleurs 1993). —169— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain cumulée à celle des mâchoires, fait de la tête la partie anatomique la plus représentée. Les autres parties sont pratiquement absentes : 4 restes issus de membres, 2 provenant des extrémités (métacarpes). Ces dépôts marquent une nette concentration au centre du fossé, dans la partie recoupée par la tranchée de sondages 2003. Leur relevé minutieux trahit une certaine organisation. Il est apparu, dès le stade de la fouille, que plusieurs mandibules étaient alignées (fig. 9) ou associées par deux (fig. 10), évoquant à première vue les paires de mandibules constituant la mâchoire inférieure de lʼanimal. Leur examen détaillé a montré, contre toute attente, quʼelles ne provenaient pas du même individu : deux mandibules dʼune même latéralité sont parfois appareillées, de même que celles appartenant à des animaux dʼâge différent, une mandibule de mouton a été associée à une mandibule de chèvre... Seules deux de ces paires pourraient, en théorie, avoir appartenu à la même mâchoire. Ces appareillages relèvent dʼun acte volontaire dont la signification nous échappe. Bien que plausible dans ce contexte, lʼexplication rituelle (symbolique) ne sʼimpose pas forcément. Basées sur des critères aléatoires, ces associations avaient peut-être un caractère purement décoratif : leur alignement continu au fond du fossé évoque la forme de guirlandes formées de plusieurs faisceaux de mandibules, chues dʻune seule pièce à lʼaplomb des parois. Même en lʼabsence de perforations, on peut supposer quʼelles étaient attachées à lʼaide de liens en matière périssable aujourdʼhui disparus, afin dʼêtre suspendues à la structure du bâtiment. La présence de clous, crochets ou et pitons dʼaccrochage en fer au sein des dépôts tend à conforter cette hypothèse, qui sera discutée plus bas. 2.3 Péribole Les milliers dʼossements, de céramiques et dʼamphores accumulés au sommet du grand fossé de péribole fouillé entre 2002 et 2005 ne diffèrent pas, à première vue, du mobilier issu des deux enclos, si ce nʼest par leur masse nettement supérieure : dʼaprès les premiers comptages effectués en cours de fouille, le nombre dʼossements y totalise en moyenne plusieurs dizaines de kilos au mètre carré (fig. 11). Sʼil est difficile dʼavancer un nombre précis au stade actuel des comptages, leur nombre peut être estimé à plus de 50 000 restes pour la seule branche septentrionale du fossé – supériorité numérique qui sʼexplique, en partie, par le volume important des couches de sédiment préservées par la profondeur du fossé. Leur étude révèle, cependant, un faciès très différent. Effectuée à partir dʼun échantillonnage dʼossements prélevés en divers points du péribole, elle témoigne de pratiques distinctes de celles observées dans les fossés dʼenclos A et B. Ils sʼen distinguent dʼabord par leur état de conservation relativement satisfaisant dans les branches nord et est, avec un taux de fragmentation moins important (fig. 12). 11 Fig. 11 : Péribole : dépôts de faune au sommet de la branche nord du fossé (fouille 2002). Si les espèces représentées dans ce mobilier correspondent à celles déjà rencontrées sur le sanctuaire, leur taux de représentation diffère de manière considérable. La part des caprinés face aux autres espèces nʼest plus majoritaire, puisquʼelle est généralement dominée par les restes de porcs. On trouve également une importante représentation des restes bovins et, dans une moindre mesure, mais de manière constante, des restes de canidés. Quelques vertèbres et arêtes de poissons, vraisemblablement pêchés dans le cours de lʼAllier coulant en contrebas, méritent une attention particulière : attestée par les textes (Poseidonios dʼApamée), leur consommation au cours du festin lʼest également par lʼarchéologie . Les parties représentées dans ce fossé sont, pour une grande part, représentatives des vestiges de consommation carnée : forte proportion de membres, de côtes et dʼépaules, qui correspondent aux parties les plus riches en viande. Si les restes issus de la tête sont également bien représentés (en particulier les mandibules), ils sont dominés par le porc. Comme sur le reste du sanctuaire, il sʼagit en majorité de jeunes adultes : les caprinés sont pour la plupart âgés de deux à quatre ans, et la part dʼindividus en bas âge est peu élevée. Les porcs sont plus fréquemment des jeunes animaux âgés de quelques mois, mais les adultes sont éga- Méniel 2001, pp. 65-67. —170— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain Fig. 12 : Péribole : dépôts de faune au sommet de la branche nord du fossé (détail, fouille 2002). lement très présents. Les quelques restes de bœuf ayant permis une estimation dʼâge témoignent dʼun âge avancé, attestant peut-être la présence de bêtes de réforme. La détermination des sexes nʼa permis de mettre en évidence une sélection particulière, pour aucune des espèces. Lʼétude des traces révèle la mise en œuvre des pratiques de découpes bouchères courantes à la fin du second âge du Fer. La quasi-totalité des vertèbres lombaires ont été arasées, les mandibules de porc sont généralement sectionnées dans le sens sagittal, les crânes sont également fendus (notamment au niveau du groin pour les porcs). Ces traces de découpes sont conformes à des activités de boucherie « classiques », révélatrices dʼune finalité alimentaire. Certaines parties en connexion anatomique témoignent de dépôts nʼayant pas fait lʼobjet de consommation : éléments de rachis de caprinés, parties distales de bœuf et de chiens… qui paraissent témoigner de dépôts dʼoffrandes de parties non consommées (et souvent, non consommables), mêlés dans ce fossé à des dépôts de parties consommées. À mentionner, enfin, plusieurs os comportant des traces de pratiques artisanales : deux extrémités distales de chevilles osseuses de bœuf sciées, témoignent dʼun travail dʼexploitation de la corne. Dʼautres déchets de fabrication, dont plusieurs os longs perforés, attestent la réalisation dʼanneaux analogues à ceux mis au jour en 2001, dont 12 ils documentent toute la chaîne opératoire12. Ces déchets, auxquels sʼajoutent deux dés en os découverts à lʼentrée du sanctuaire, témoignent dʼactivités de tabletterie exercées dans lʼenceinte même du sanctuaire, au gré des besoins du culte. Le faciès qui caractérise les dépôts du péribole avait déjà été mis en évidence par lʼétude détaillée de lʼun des trous de poteaux de la galerie monumentale (TP 10135) attribué par erreur à un système de porche lié à lʼentrée de lʼenclos A, dont lʼextension des fouilles a depuis montré quʼil sʼinscrivait en fait dans lʼalignement de piliers constituant la façade méridionale du péribole. Les dépôts de faune issus de son comblement, qui se distinguent de ceux observés dans les fossés de lʼenclos A, semblent en revanche très proches de ceux rencontrés à lʼaplomb de la galerie. La part des caprinés y est bien inférieure à celle des porcs, qui représentent 41 % du nombre de restes dans cette structure. On note également la présence de quelques ossements de volailles. Une autre divergence avec la faune de lʼenclos A réside dans les parties anatomiques représentées. Pour les caprinés, les restes issus de la tête sont très minoritaires alors que ceux du tronc dominent (ce qui sʼexplique par la fragilité plus importante des côtes), les restes des membres sont bien représentés et parmi eux, 70 % proviennent de gigots. Les restes de porcs se répartissent entre les différentes parties anatomiques, avec une forte présence des restes de la tête (assez peu de mandibules, toutefois) qui comptent pour 51 % du mobilier porcin. Les membres (18 %) et le tronc (25 %) sont cependant tout aussi bien représentés. Lʼensemble de ce mobilier correspond assez bien à une logique de consommation, contrairement à ceux prélevés dans les enclos A et B : le porc y est favorisé au détriment du mouton, les parties représentées y sont plus conformes à des habitudes culinaires. Le choix du porc et la présence de volaille, sans doute liés à la datation tardive du dépôt (Tène D2b, milieu du Ier s. av. J.-C.), pourrait annoncer la mise en place de nouvelles normes rituelles importées avec la conquête romaine. 2.4 Un espace pour la découpe bouchère ? Lʼespace situé entre les enclos internes, face à lʼentrée du sanctuaire, a livré dʼimportantes concentrations de faune, qui marquent lʼemplacement dʼune structure en élévation légère matérialisée par quelques trous de poteau. Le faciès général et la distribution des espèces y sont identiques à ceux observés dans le péribole. Pour autant, on retrouve certaines caractéristiques de lʼenclos A : notamment, la présence de crânes de caprinés alignés le long des structures (dont plusieurs ayant subi lʼablation de la partie occipitale), une forte représentation des mandibules et des bas de pattes de caprinés mais aussi de porc. On souligne également la présence de nombreux restes de fœtus porcins et caprins parmi les vestiges. Enfin, le chien Poux et alii 2002, pp. 71-72, fig. 15. —171— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain Fig. 14 : Péribole : patte de cheval en connexion déposée au sommet de la branche nord du fossé (vue générale et détail, fouille 2002). Fig. 13 : Crâne de bovin tombé à lʼaplomb dʼun montant de la structure sur poteaux sous-jacente au fanum romain (fouille 2005). est là encore très fréquent, principalement représenté par des bas de pattes, dont beaucoup étaient encore en connexion anatomique. Un crâne de bovin gisait à lʼaplomb de lʼun des poteaux dʼangle de la structure, auquel il était vraisemblablement fixé à lʻorigine (fig. 13). Lʼensemble évoque davantage des rejets de boucheries que les rejets de consommations. Il peut témoigner dʼune zone réservée aux activités de découpes bouchères, qui constituent une étape importante de la chaîne opératoire. 2.5 En marge du festin : chevaux et carnassiers Dʼautres restes osseux, exempts de traces de consommation, ne participent pas aux pratiques dʼalimentation collectives mises en évidence à partir des restes dʼespèces domestiques courantes (mouton, porc, bœuf). Cheval La fouille de la branche septentrionale du fossé de péribole a mis au jour une patte dʼéquidé en connexion anatomique, déposée dans la branche septentrionale du fossé du péribole (fig. 14). Ce membre antérieur gauche dont il manque les phalanges appartient à un animal dʼau moins trois ans et demi, dʼaprès le stade dʼépiphysation des os, lʼabsence de pathologies ou de marques dues à un âge avancé. Son sexe nʼa pu été déterminé. La stature de cet animal correspond à la moyenne habituelle des che13 vaux indigènes du second Age du Fer, avec une hauteur modeste de 1,27 m au garrot (dʼaprès les coefficients de Kiesewalter)13. Il nous est impossible de déterminer sʼil a été ou non sacrifié, où sʼil a fait lʼobjet dʼune inhumation post mortem dans le fossé. Le maintien des positions anatomiques prouve toutefois que la décomposition du membre nʼétait pas encore avancée au moment du dépôt. Lʼabsence du squelette complet rapproche cette découverte des dépôts partiels de crânes ou de membres de bœufs, de porcs, de moutons ou de chiens effectués en dʼautres points du sanctuaire. Il nʼoccupe pas moins une place particulière au sein des manipulations liées au culte : la préservation des relations articulaires, qui sʼoppose à une consommation, interdit dʼy voir un vestige de banquet. Il sʼagit plus probablement dʼune offrande animale, au sens premier du terme, précédée ou non dʼun sacrifice et vouée à une décomposition à lʼair libre. Il a été établi, dans les sanctuaires de Gaule septentrionale, que les chevaux ne participaient pas aux consommations carnées dans le domaine sacré. Il faut pourtant signaler, à Corent, la présence de traces de découpes sur certains membres de chevaux. Un tibia de cheval isolé découvert dans la branche orientale du péribole, au niveau de lʼentrée, comporte la trace très nette dʼun coup porté sur la partie proximale. Elle témoigne dʼun coup violent, asséné puissamment selon un angle dʼenviron 45°, vraisemblablement dans lʼintention de sectionner le membre au niveau du grasset. Ce geste évoque celui pratiqué dans les activités bouchères pour le débitage des carcasses. Lʼinterprétation de cet os isolé reste fragile, dʼautant quʼil ne comporte aucune autre trace. Le dépôt dʼensembles anatomiques de chevaux, consommés ou non, est attesté dans des contextes analogues à celui de Corent : par exemple, parmi les restes de porcs du fossé aval du Verbe Incarné à Lyon (Poux et Savay-Guerraz 2003, 105). On est effectivement dans la moyenne de taille des petits chevaux indigènes gaulois. Lʼestimation des statures réalisée sur les différents os long de cet ensemble témoigne dʼune taille relativement courte du métacarpe ce qui rapproche cet individu des « chevaux aux pieds courts » évoqués sur le site de Vertault (Join et Méniel 2001) qui les distingue de ceux « aux pieds longs ». Selon P. Méniel la taille plus réduite des métacarpes de certains des chevaux tendrait à témoigner quʼil sʼagirait de chevaux castrés, plus robustes et peut-être plus adaptés à des travaux agricoles. —172— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain Carnassiers Avec une dizaine dʼindividus, le chien domestique (Canis familiaris) y totalise une part rarement atteinte sur les sanctuaires gaulois14. Le fait que certaines parties (crâne et rachis) nʼont pas été consommées, mais déposées dans les fossés à lʼinstar du cheval, témoigne dʼun statut à part. figure notamment une tête de chien (fig. 15) complète, encore associée aux quatre premières vertèbres cervicales, appartenant vraisemblablement à un animal adulte de sexe mâle (crête sagittale très développée), dʼau moins trois ou quatre ans (oblitération des sutures interfrontales). Aucune trace de fracture ou de pathologie nʼa été décelée, pas plus que de traces de découpes ou de consommation. Cet ensemble anatomique permet dʼaffirmer que la tête a été séparée du corps et placée dans le fossé avant que la décomposition soit achevée. Un épandage de mobilier fouillé à droite de lʼentrée se distingue des autres dépôts du fossé par un faciès de faune assez particulier (fig. 16). Au milieu des ossements de caprins et suidés résultant de la consommation courante figuraient plusieurs ossements attribuables de visu à des espèces sauvages, carnivores pour lʼessentiel : - Un crâne complet de chat (Felis silvestris) pourvu de ses mandibules, gisait contre le versant occidental du fossé. Lʼexamen du crâne effectué par S. Foucras révèle quʼil sʼagit dʼun animal adulte, de taille modeste pour une espèce sauvage. Bien que difficilement envisageable a priori, lʼhypothèse dʼune espèce domestique nʼest pas totalement exclue, des restes de chat importé étant attestés sur lʼoppidum du Titelberg, dans des niveaux datés du 1er siècle avant notre ère (renseignement P. Méniel). - Le même dépôt a livré quatre mandibules de loups (Canis lupus), issues dʼau moins deux individus adultes, dont un mâle. La présence de deux mâchoires inférieures évoque comme pour le chat un dépôt de crâne complet, dont les autres éléments nʼont pas été retrouvés. - À ces dépôts, il faut ajouter celui dʼun crâne de renard (Vulpes vulpes), fragmenté mais complet, retrouvé au même emplacement, parmi les épandages de mobilier qui jonchent le sol de galerie qui chevauche le fossé [UF 13048, voir plus bas]. Lʼexamen de la faune issue de ce secteur a révélé la présence dʼautres fragments de crâne issus de la même espèce, appartenant à un minimum de dix individus. Cette présence marquée dʼespèces sauvages constitue une nouveauté pour le sanctuaire de Corent, dans un faciès dominé à plus de 99 % par les reliefs de consommation (mouton, porc, bœuf), associés à quelques rares dʼoffrandes non consommées (cheval, humain, crânes de chien). Cette rareté ne rend le choix des espèces que plus significatif : plusieurs têtes de carnivores, à lʼexclusion dʼautres espèces herbivores. Ces dernières sont plus fréquentes sur 14 Fig. 15 : Corent, dépôts de crânes de carnassiers : crâne de chien (en haut à gauche), mandibules de loups (en haut à droite) crâne de renard (en bas à gauche), crâne de chat sauvage (en bas à droite : photos et identifications S. Foucras, fouille 2004). Fig. 16 : Localisation des dépôts de faune sauvage mis au jour à lʼentrée du sanctuaire (plan S. Foucras). les sites aristocratiques de cette période (cerf, chevreuil, sanglier…), où elles sont souvent accrochées à hauteur de lʼentrée, en guise de trophées de chasse. Le regroupement de quatre à cinq crânes à lʼaplomb du péribole, près de lʼentrée du sanctuaire, évoque un rite dʼexposition analogue attesté, par exemple, pour les crânes humains du sanctuaire de Gournay-sur-Aronde. Méniel, in : Brunaux (dir.) 1991, 257-267 : Vertault excepté, la part du chien sur les sanctuaires du Belgium est qualifiée dʼanecdotique. —173— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain Fig. 17 : Sanctuaire de Corent, restes humains. À gauche : fragment de calotte crânienne piégé parmi les dépôts dʼamphores encerclant les cuves en bois. En haut à droite : fragment de voûte pariétale issu du remplissage de lʼune des cuves, présentant une trace de perforation dʼorigine indéterminée. En bas à droite : facial de jeune adulte, issu de la branche nord du fossé de péribole. Identifications : P. Courtaud, E. Rousseau, Université de Bordeaux I, UMR 5809 du CNRS. 2.6 De rares restes humains La branche nord du fossé de péribole fouillée entre 2003 et 2004 a livré plusieurs fragments de calottes crâniennes humaines, concentrés dans le même secteur que les armes : plus ou moins complets, dispersés aux abords dʼun foyer aménagé sur une sole de tessons dʼamphores, ils étaient mêlés à des restes culinaires et à divers objets métalliques, dont plusieurs fragments dʼépées et deux couteaux en fer (fig. 17). Leur étude en cours ne permet dʼavancer aucune conclusion, quant à lʼorigine des crânes, au statut des individus et aux conditions de leur décès : sépultures, exposition des crânes liés à des pratiques guerrières ou au culte des ancêtres, sacrifices humains, exécution de condamnés de droit commun ? Ils viennent sʼajouter aux fragments déjà mis au jour au nord du péribole (demi-facial féminin, associé à des pièces de boucliers en fer mutilées) et parmi les amas dʼamphores fouillés au centre du sanctuaire (pariétal complet). Deux nouveaux fragments de plus petite taille ont également été retrouvés dans le comblement de la grande « fosse à amphores » carrée située face à lʼentrée : détail intéressant, lʼun de ces fragments comporte une trace très nette de perforation, qui renvoie peut-être à une pratique dʼexposition des crânes bien attestée sur les sanctuaires de cette période . Cette hypothèse sʼaccorde avec lʼexistence, mise en évidence cette année, dʼune structure sur poteaux destinée à protéger les cuves. Quelle que soit leur signification, ces manipulations dʼossements témoignent de la valeur assignée aux crânes dans lʼespace du sanctuaire, plus singulièrement, autour de ces cavités interprétées comme des cuves libatoires. Il est possible quʼelles entretiennent un lien avec le vin déversé dans les cuves : le lavage des os du défunt dans du vin correspond, en effet, à une pratique funéraire bien attestée en milieu celtique16. Elles confortent lʼhypothèse de libations effectuées en lʼhonneur de divinités chtoniennes, généralement liées au culte des ancêtres17. La découverte dʼos humains en quantités non négligeables, dont plusieurs fragments de crânes associés à des fragments dʼépées et de fourreaux de datation ancienne (La Tène C2/D1), est conforme aux pratiques qui caractérisent les sanctuaires belges de Gaule septentrionale. Sans forcément opérer une analogie directe, il est intéressant dʼobserver que ces critères de sélection répondent à ceux adoptés pour les restes animaux. Le regroupement de lʼhomme et du cheval dans un même secteur du fossé nʼest sans doute pas fortuit : il correspond à une association consciente, fréquemment attestée sur les sanctuaires de Gaule septentrionale – par exemple à Gournay-sur-Aronde ou à Acy-Romance18. Il permet, accessoirement, de porter un nouveau regard sur les fameuses « fosses aux chevaux et aux cavaliers » découvertes en 2002 devant le rempart de Gondole, 4 km à vol dʼoiseau du sanctuaire de Corent (voir la contribution de P. Méniel, dans ce volume). Lʼabsence de contexte et la large fourchette de datation fournie par les analyses C14 laissaient planer un doute sur leur appartenance au cercle des pratiques religieuses, funéraires ou militaires attestées dans cette région de la Gaule. Bien que plus fragmentaires, les découvertes de Corent prouvent que des rites mettant en jeu la manipulation des restes équins et humains avaient bien cours chez les Arvernes de la fin de lʼâge du Fer, sur des sites dont la vocation cultuelle ne fait aucun doute. 3. Ustensiles bouchers et culinaires Lʼétude des pratiques sacrificielles et festives ne se limite pas, à Corent, à celle des seuls dépôts de faune. Fait exceptionnel, elle peut également sʼappuyer sur celle des ustensiles en fer utilisés pour la préparation et la cuisson des viandes, déposés dans les mêmes contextes (fig. 18 et 19)19. 3.1 Instruments dʼabattage et de découpe Au premier rang figurent les couteaux en fer, servant à la mise à mort des animaux et à leur découpe bouchère : cinq exemplaires plus ou moins complets, de forme et de typologie variables, ont été recueillis aux abords de lʼenclos A, auxquels il faut ajouter de nombreux fragments de lames non identifiés. Seuls les plus grands dʼentre eux (longueur de lame supérieure à 20 cm) étaient adaptés à la saignée ou lʼégorgement du petit bétail. Leur forme ou leur taille ne permettent pas, pour autant, de les distinguer des exemplaires retrouvés sur les habitats con- 15 Brunaux et alii 1985. Metzler et alii 1991. 17 Poux 2004. 18 Lambot et Méniel 2001, p. 101. 19 Les premiers éléments présentés à lʼoccasion de la table-ronde de 2002 ont été réactualisés à partir de lʼétude exhaustive du mobilier métallique provenant du sanctuaire, réalisée par M. Demierre (2006). 16 —174— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain Fig. 19 : Localisation des aires de foyer, répartition des ustensiles bouchers et culinaires (dʼaprès Demierre 2006). Fig. 18 : Sélection dʼustensiles en métal utilisés pour les opérations bouchères et culinaires (dessins M. Demierre). temporains. Cette ambiguïté prévaut pour la plupart des couteaux retrouvés dans les sanctuaires (Argentomagus, Bennécourt) ou dans les sépultures de la fin de lʼépoque gauloise et du début de lʼépoque romaine, utilisés aussi bien pour la boucherie sacrificielle que pour la découpe des viandes dans le cadre du festin20. Certaines armes retrouvées sur le sanctuaire ont également pu être utilisées à cet effet, comme le suggère la position dʼune extrémité distale de lame dʼépée, retrouvée en contact direct avec un rachis de mouton en connexion (fig. 20). À signaler, dans le même contexte, la découverte de plusieurs attaches et anses de seaux ou situles en fer : utilisés pour le mélange et le service des boissons alcoolisées, ces derniers ont aussi pu servir à recueillir le sang des victimes, à lʼinstar du seau à garnitures en fer associé au grand couteau de Tartigny dans lʼOise21. 3.2 Ustensiles de cuisson Les abords de lʼenclos ont livré de nombreux fragments de tôles en fer et en bronze rivetées, ainsi que deux poignées annulaires en fer encore pourvues de leur attache, correspondant aux restes dʼau moins trois grands chaudrons bimétalliques utilisés pour bouillir les viandes. Contrairement aux couteaux, ces chaudrons sont très rares sur les habitats – quelques exemplaires seulement, attestés sous une forme très fragmentaire sur les centaines de fermes indigènes fouillées à ce jour22. Loin de lʼimage dʼépinal véhiculée par la bande dessinée et les représentations muséographiques (la « marmite » gauloise Fig. 20 : Extrémité de lame dʼépée en contact avec un rachis de mouton en connexion (péribole, fossé ouest à hauteur de lʼentrée, fouille 2003). utilisée pour la cuisine quotidienne), ils revêtent un usage spécifique : leur grande taille et leur coût artisanal les destinaient, sinon exclusivement, du moins principalement, à la consommation des viandes dans un cadre festif et rituel, attesté par de nombreuses sources antiques et celtiques insulaires – fonction que les chaudrons conserveront dʼailleurs à lʼépoque romaine, malgré une plus large diffusion en contexte domestique. Les éléments solidaires de grandes crémaillères en fer utilisées pour leur suspension (anneaux circulaires reliés par des maillons étranglés) ont été recueillis en divers points du grand fossé de péribole. Exceptionnel, leur dépôt se limite généralement à quelques tombes aristocratiques bien particulières, de datation relativement tardive (Wincheringen, Boé…)23. 20 Bourgeois 1999, 113-114 fig. 84 ; Metzler et al. 1999, 305-307, fig. 330. Massy et al. 1986. 22 Poux et Feugère 2002, p. 216 ; Poux 2002, pp. 352-353. 23 Metzler et al. 1991, 143-145, fig. 101. 21 —175— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain Plusieurs fragments de barres massives et allongées de section quadrangulaire, aplaties ou recourbées aux extrémités, figuraient dans les mêmes contextes. Ils pourraient, sous toutes réserves, provenir de grils en fer utilisés pour rôtir les pièces de viande. Sʼils se rencontrent occasionnellement sur les habitats de cette époque, ils figurent également sur dʼautres sanctuaires et dans certaines tombes aristocratiques (Clémency, Visme-au-Val, Bucyle-Long)24. Les abords de lʼenclos A ont également livré quelques fragments de fourchettes ou « crocs à viande » en fer, servant à manipuler et saisir les morceaux de viande. Ce type dʼobjets se rencontre rarement en contexte dʼhabitat, ce qui exclut là encore un usage culinaire courant. Leur dépôt isolé dans des contextes bien particuliers (Holzhausen, Montmartin, Acy-Romance, ou dans la nécropole méridionale dʼEyguières), parfois en quantités massives (Larina ou Sainte-Blandine), tend à les désigner comme des accessoires cultuels, analogues à la kreagra grecque25. Lʼusage qui leur est traditionnellement attribué, celui de « crocs à chaudrons », semble démenti par la composition des assemblages funéraires, où chaudrons et fourchettes ne sont jamais associés. Ils ont tout aussi bien pu être utilisés à la manière de simples broches, pour rôtir la viande à même la flamme (Poux 2002, 359). Une louche et une petite cuiller en fer viennent compléter ce corpus : liées fonctionnellement au chaudron, elles ont pu servir à la manipulation des sauces et/ou des épices dans le cadre de préparations culinaires élaborées. La cuiller connaît un parallèle sur lʼoppidum de La Cloche26. Des louches similaires sont également attestées, en association avec dʼautres ustensiles de cuisine, dans plusieurs contextes datés de lʼextrême fin de La Tène finale ou du début de lʼépoque romaine, à Fléré-la-Rivière, Sainte Blandine, à Cleppé, à Braine ou encore, dans le tumulus de Celles27. Ces ustensiles culinaires marquent, sur le sanctuaire de Corent, une concentration inhabituelle qui tranche avec leur rareté sur les autres sites de la région, occupés durant la même période. Dans le reste de la Gaule, leur dépôt se cantonne surtout à la sphère funéraire, parmi lʼattirail personnel du défunt destiné à souligner ses prérogatives : lʼexercice de la guerre et de la chasse, tout comme lʼexercice du sacrifice et lʼorganisation de banquets à grande échelle, cultuels ou profanes28. Il est admis, à la suite des travaux de Jean-Louis Brunaux, que lʼabattage et la découpe des victimes sacrificielles ne pouvaient être accomplis que par des prêtres attitrés (druides et autres catégories sacerdotales). La préparation, la cuisson et la consommation des viandes issues du sacrifice étaient placées sous le même patronage. Cette prérogative sʼillustrait, concrètement, par la détention des ustensiles utilisés pour chacune de ces opérations. Leur valeur particulière, aussi bien symbolique, liturgique quʼartisanale, explique leur rareté. Chez les Arvernes comme dans toute la Gaule, ils figurent rarement parmi lʼinventaire domestique « courant » retrouvé sur les habitats, à lʼexception de quelques résidences aristocratique au statut bien particulier (Montmartin, Braine, Fontenay-le-Comte)29. Leur présence conjointe au cœur des restes de festin accumulés sur le sanctuaire de Corent conforte, a contrario, cette vocation aristocratique et cultuelle. Le plan de répartition (fig. 21) illustre le lien de proximité spatial qui unit ces objets aux cinq aires de foyer mises au jour sous la galerie du péribole, dont lʼemplacement coïncide avec les principales aires dʼaccumulation de vestiges osseux issus de la consommation collective. 4. Du sacrifice au festin : essai de synthèse Le sanctuaire de Corent se range, de par son plan et ses dimensions, dans la catégorie des « grands » sanctuaires indigènes connus dans le Nord-Ouest de la Gaule, dont il constitue lʼexemple le plus méridional fouillé à ce jour. Corroboré par la découverte, dans les niveaux inférieurs du fossé, de restes humains et de cheval associés à des fragments dʼarmes caractéristiques du IIe s. av. J.-C., ce parallèle se justifie aussi dʼun point de vue chronologique. Si une majorité des dépôts liés à son activité renvoie à un stade relativement tardif de la Tène finale (Tène D1b et D2, Ier siècle av. J.-C.), sa fondation est contemporaine du dernier horizon des sanctuaires guerriers de Belgique occidentale. Lʼétude de ces dépôts autorise, pour la première fois, une comparaison directe avec les pratiques sacrificielles et festives documentées au nord de la Seine. À lʼopposé de cette séquence chronologique, la perduration et la reconstruction du sanctuaire à lʼépoque romaine permet dʼanalyser dans le détail certaines évolutions liées à la conquête, particulièrement marquées dans ce domaine. Lʼanalyse des vestiges fauniques du sanctuaire de Corent apporte de nombreuses informations, relatives au traitement et la consommation des animaux sur les sanctuaires arvernes à la fin de lʼâge du Fer. Il a été démontré, dès 1993, quʼils correspondaient aux reliefs dʼune consommation carnée de grande ampleur, de type festin ou 24 Ibidem. Perrin 1990, pp. 63-69. 26 Chabot 2004 : fig. 260, VH6-003. 27 Ferdière et Villard 1993 : fig. 1-80 ; Chapotat 1970 : pl. XXII, n° 12 ; Guillaumet 1983 : n° 35 ; Poux 2004. 28 Poux et Feugère 2002, pp. 203-207, fig. 3 et 5. 29 Poux et Feugère 2002, p. 216. 25 —176— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain Fig. 21 : Reconstitution schématique du parcours des animaux, des pièces de boucherie et des amphores vinaires au sein du sanctuaire. 30. Cette interprétation se fonde autant sur la quantité de restes en présence — quʼil est difficile dʼétalonner en fonction de la durée dʼoccupation du sanctuaire — que sur la représentation des espèces et des parties, sans rapport avec les faciès détritiques mis en évidence sur les habitats contemporains31 : considéré globalement, ce faciès se caractérise par une très nette prédominance du mouton et de la chèvre, majoritairement représentés par des rejets de boucherie résultant de lʼabattage de plusieurs centaines de têtes de bétail. Cette hypothèse est également confortée par lʼassociation de ces reliefs avec des foyers culinaires et une batterie dʼustensiles en métal liés, dans les tombes, au festin aristocratique. 30 31 La fouille fine des différentes structures qui composent le sanctuaire permet dʼappréhender avec davantage de précision la chaîne opératoire présidant au choix, à la préparation et au rejet des parties animales consommées à cette occasion. Fondées sur un faisceau dʼindices convergents, dʼordre archéologique, archéozoologique et ethnographique, les interprétations quʼon peut en tirer nʼont pas moins un caractère provisoire. 4.1 Des gigots et des chicots Lʼextension des fouilles a révélé que ce mobilier était loin de se répartir de manière homogène sur lʼensemble du site. Les études en cours confirment que la représentation des espèces et de leurs parties constitutives diffère nettement en fonction des structures. Méniel 1993. Poux et alii 2002, pp. 96-97 fig. 38. —177— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain Les fossés des deux bâtiments principaux livrent des restes peu conformes à une consommation carnée de qualité : crânes, mandibules et membres de moutons et de chèvres, pour lʼessentiel. Il sʼagit à lʼévidence de rejets de boucherie, abandonnés sur place après lʼabattage et la découpe des animaux. Ce mobilier ne met pas moins en scène des normes rituelles qui sʼillustrent par une sélection des parties anatomiques et une certaine organisation des dépôts. Le faciès de lʼenclos A, en particulier, se distingue par une véritable accumulation de dépôts de crânes de moutons, de chèvres ou de chiens, associés à dʼautres rejets impropres à la consommation, comme les membres et les mandibules. Concentrés dans certaines portions du fossé, il sʼagit visiblement de dépôts volontaires, peut-être précédés ou doublés dʼune exposition des crânes à la structure du bâtiment. Celui de lʼenclos B le complète symétriquement, avec une majorité écrasante de mâchoires de moutons triées et disposées sous forme dʼamas organisés, en ligne ou par paires. Ces associations de mandibules issues dʼanimaux différents permettent de supposer quʼelles ont été attachées, pour être suspendues solidairement à la façade du bâtiment. Le fossé du péribole et les trous de poteau de la galerie relèvent dʼun faciès systématiquement opposé. Largement plus conséquent que celui livré par les deux enclos réunis, cet ensemble correspond bien à un faciès de consommation, tant du point de vue des espèces représentées que des morceaux choisis : si les ovicaprinés restent bien présents, la part du porc et du bœuf y est beaucoup plus importante. La sélection des restes y apparaît fondée sur dʼautres critères : cuisses, épaules et gigots, parties charnues comportant de nombreuses traces de découpe liées à la consommation de la viande. Deux aires distinctes se dessinent : au centre du sanctuaire, des rejets de boucherie régis par des normes rituelles précises, ne mettant en jeu quʼune quantité restreinte de pièces ; aux abords du péribole, des pièces en plus grand nombre et de meilleure qualité, consommées et abandonnées sur place. Il nʼest pas possible, en lʼétat actuel des recherches, dʼétablir avec certitude si ces écarts doivent être interprétés en termes chronologiques et/ou fonctionnels. Ils semblent néanmoins se maintenir de manière relativement constante sur toute la durée dʼoccupation du sanctuaire, confirmant une hypothèse émise dès la reprise des fouilles : si lʼabattage et la découpe des animaux avaient lieu dans les deux enclos inscrits au cœur de lʼespace sacré, leur consommation sʼeffectuait plutôt en périphérie, sous la galerie ou à ses abords32. Cet édifice édifié selon des canons métriques méditerranéens (intercolumnium de 3,20 m, soit exactement dix pieds attiques) emprunterait, dans cette hypothèse, la fonction de ces grands portiques ou stoai destinés à la tenue des banquets publics sur les sanctuaires grecs. 4.2 Des Dieux et des Hommes La principale spécificité de la faune de Corent tient à la sélection des espèces consommées : des moutons, pour lʼessentiel, viande de moindre qualité qui traduit sans doute moins une préférence alimentaire quʼune norme cultuelle dont la signification nous échappe – prescription rituelle ou animal lié à une divinité particulière ? Cette situation constitue, quoi quʼil en soit, le miroir des dépôts fouillés au Verbe Incarné à Lyon et sur dʼautres sanctuaires, où le porc domine presque systématiquement parmi les reliefs de festin33. Bien que minoritaire, ce dernier est dʼailleurs loin dʼêtre absent à Corent, accompagné dʼautres espèces comme le chien, le bœuf, le poisson et peut-être même, le cheval – si lʼon se fie aux traces de découpe relevées sur un fragment de tibia. Le dépôt dʼun membre en connexion, en revanche, relève plutôt de la sphère des offrandes sacrificielle, au même titre que les crânes humains et à lʼinstar de ceux signalés au Verbe Incarné et dans dʼautres sanctuaires du nord de la Gaule. Le tri minutieux des parties de lʼanimal (crânes, mandibules, tronc et membres) et leur dépôt dissocié, relèvent sans doute de la même symbolique. Également attestés sur la plupart des grands sanctuaires de Gaule septentrionale, ils soulignent la dimension sacrée dʼune consommation inscrite dans un cadre bien spécifique. Les phénomènes observés à lʼintérieur du péribole répondent bien, du point de vue du traitement infligé aux animaux, à la définition première du terme grec temenos : espace coupé du monde profane, lieu de résidence de la ou des divinité(s), placé sous lʼautorité des prêtres, régi par des règles différentes de celles observées dans la sphère domestique. La sélection, lʼabattage, la découpe, la préparation et la consommation des victimes comme la gestion des dépouilles obéissent à une logique rituelle qui se distingue volontairement de celle qui prévaut, au quotidien, à lʼextérieur du sanctuaire34. Cette logique est moins obscure quʼil nʼy paraît au premier abord. A lʼinstar du sacrifice gréco-romain, la mise à mort de lʼanimal et sa consommation y sont perçues comme une forme de partage entre les dieux et les hommes : aux premiers les bas morceaux, crânes, membres et autres parties pauvres en viande, abandonnés sur place, accumulés ou enfouis au pied des parois, exposés en hauteur pour y être symboliquement « dévorés » par la terre et les éléments climatiques ; aux seconds les parties les plus charnues, gigots, jambons, côtes et épaules, consommées par les participants conviés au festin. 32 Poux et alii 2002, pp. 103-104. Méniel 2001, p. 81. 34 Méniel 2000 ; 2001, pp. 77-86. 33 —178— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain 4.3 Du sang et du vin Lʼétude des vestiges conjuguée à celles des différentes catégories de mobilier permet de restituer diverses étapes de ce cérémoniel et leur emplacement théorique (fig. 21). Lʼorigine et le statut des animaux sont difficiles à établir : relèvent-ils dʼun apport individuel ou collectif (familles, clans ou délégués de Cités), ont-ils été élevé sur place ou prélevés dans la campagne et les fermes environnantes ? La prédominance des moutons, des chèvres et du porc, sur les grands animaux nʼest, à cet égard, pas sans signification. Depuis le Néolithique, le petit bétail constitue la matière première du festin35 : à la différence de grands animaux comme les bœufs, il permet à chacun dʼapporter sa contribution, sous une forme aisément quantifiable, divisible ou monnayable. Les opérations comptables nécessaires au recensement ou à lʼachat des animaux introduits dans le sanctuaire ont peut-être laissé une trace concrète, à travers les concentrations de monnaies et de jetons céramiques mises en évidence à proximité de lʼentrée. Il est probable quʼils y séjournaient quelques jours avant leur mise à mort, dans une structure enclose prévue à cet effet. Un enclos à bétail, du type de celui mis en évidence dans lʼangle nord du sanctuaire de Gournay-surAronde, pourrait avoir été localisé dans lʼangle sud-ouest du péribole. Cette vocation, qui ne laisse par définition aucune trace, peut lui être attribuée à défaut dʼautres fonctions clairement identifiables. Sa capacité supérieure à 200 m2 permettait, quoi quʼil en soit, dʼaccueillir simultanément plusieurs dizaines de têtes de bétail. Le jour venu, à une date vraisemblablement fixée à lʼavance, une partie dʼentre elles était prélevée et conduite sur le lieu du sacrifice. On a proposé dʼidentifier le premier bâtiment (enclos A) au lieu dʼabattage et de découpe des animaux, en raison du nombre de rejets de boucherie accumulés dans ses fossés36. La découverte de plusieurs couteaux en fer dans lʼenclos et à ses abords immédiats vient conforter cette hypothèse. Le gros bloc de basalte adossé à sa paroi méridionale a pu servir de pierre dʼautel pour lʼégorgement des animaux, comme le suggèrent une série de crânes dispersés en éventail à sa périphérie, son implantation volontaire en face de lʼentrée et de multiples incisions parallèles observées sur lʼarête du bloc, dues au passage dʼune lame. Proposée à titre dʼhypothèse de travail, cette identification repose également sur lʼanalogie avec le bloc de basalte disposé face à lʼentrée dʼun petit bâtiment cultuel de plan identique fouillé sur le site du Brézet, à Clermont-Ferrand37. Des pierres dʼautel similaires sont utilisées, de nos jours encore, pour les rites dʼégorgement en vigueur sur le con- tinent africain – par exemple, lors de lʼAïd musulmane ou pour le culte dʼOgun, chez les Yoruba (fig. 22). La conservation et lʼexposition des crânes dʼanimaux consommés au festin trouvent également de nombreux parallèles dans la documentation archéologique et ethnographique (fig. 23). Leur exhibition sur les palissades du sanctuaire dʼAcy-Romance constitue la marque ostentatoire des repas qui avaient cours dans son enceinte38. Lʼexposition des bucranes sʼillustre, à Corent, dans lʼélargissement du trou occipital pratiqué sur la plupart des crânes de moutons, qui visait peut-être à faciliter leur accrochage à la charpente et aux parois du bâtiment. Plus singulière est la coutume de rassembler les mandibules et de les lier sous forme de guirlandes accrochées au bâtiment en guise dʼornement. Cette forme de décoration caractérise, aujourdʼhui encore en Afrique ou en Asie du sud-est, certains bâtiments servant de cadre aux sacrifices et aux festins communautaires (fig. 23 et 24)39. Cette fonction ornementale et ostentatoire paraît expliquer la présence exclusive de centaines de mandibules dans les fossés du bâtiment (enclos B), exempts de tout autre vestige de boucherie ou de consommation. Quant à la grande fosse creusée à lʼintérieur de lʼenclos A, à gauche de lʼentrée, elle a pu servir à recueillir le sang et/ou une partie de la chair des victimes sacrificielles égorgées à proximité, en guise dʼoffrande aux divinités souterraines. Aucune analyse ou vestige osseux ne vient Fig. 22 - À gauche : Corent, bloc de basalte implanté dans le bâtiment nord, vraisemblablement utilisé comme pierre dʼautel pour lʼabattage des animaux (en bas à gauche : traces laissées par le passage dʼune lame à la surface du bloc) ; à droite : scène de sacrifice chez les Yoruba du Bénin, décapitation de jeunes chèvres, dont les crânes sʼaccumulent autour dʼune grosse pierre plate utilisée pour la saignée (tiré de Müller et Henning 1999, 269). 35 Dietler et Hayden 2001, p. 49. Poux et alii 2002, pp. 103-104. 37 Poux et alii 2002, pp. 69 et 104. 38 Lambot et Méniel 2001, pp. 29-32, p. 101. 39 Dietler et Hayden 2001, p. 56, fig. 2.7 ; Müller et Henning 1999, pp. 190-191. 36 —179— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain Fig. 23 : Bâtiment orné de bucrânes (façade) et de guirlandes de mandibules de porcs (intérieur), accrochées en souvenir des festins organisés par son propriétaire. Peuple Akha, Thaïlande (tiré de Dietler et Hayden 2001, 56). étayer cette hypothèse, inspirée par sa situation et lʼanalogie formelle qui lʼunit aux « autels creux » des sanctuaires belges . La découpe et la cuisson des aliments sʼeffectuaient à lʼextérieur des bâtiments, dont le sol était exempt de toute trace de combustion. La structure sur poteaux érigée dans la partie ouest de la cour à équidistance des deux enclos, dotée de plusieurs foyers et de structures dʼaccrochage (potence en fer), a pu être dédiée à ces opérations. Sa situation privilégiée, dans lʼaxe de lʼentrée et à lʼaplomb du futur fanum édifié à lʼépoque romaine, la désigne comme un point de focalisation du rite sacrificiel. La galerie monumentale du second état de péribole abritait, elle aussi, plusieurs aménagements culinaires, dont une batterie de quatre foyers contigus. Son sol était jonché de restes animaux issus de la découpe bouchère, comportant pour certains des traces de cuisson. Cette observation ne concerne que les dents et lʼextrémité des membres (talus) de suidés, seules parties exposées de lʼanimal à conserver les stigmates dʼun passage direct à la flamme. Du même secteur sont issus la plupart des éléments de chaudrons, de crémaillère et de gril retrouvés sur le site, ainsi quʼun croc en fer (fig. 18). Cette combinaison dʼustensiles montre que les chairs étaient aussi bien rôties et grillées que bouillies, conformément à la description que nous fait Poseidonios dʼApamée des viandes consommées au festin gaulois ; la présence dʼune louche et dʼune cuiller en fer confirme également lʼusage, rapporté par le Fig. 24 : Maison des Asen (temple des ancêtres, hébergeant fétiches et autels à libations) ornée de guirlandes de crânes et mandibules animales (intérieur et extérieur), illustrant le nombre dʼanimaux sacrifiés aux défunts. Peuple Ashanti, Côte dʼIvoire (tiré de Müller et Henning 1999, 150-151). même texte, de certains épices comme le cumin dans la préparation des mets41. Leur consommation proprement dite avait vraisemblablement lieu dans le même périmètre, sous la galerie du péribole et dans les vastes espaces environnant les deux bâtiments, dont le sol était jonché dʼossements résiduels. Partagée entre les participants conviés aux cérémonies, la chair était détachée après cuisson à lʼaide de couteaux, qui ont laissé de nombreuses traces à la surface des os. Ces reliefs étaient traités, après consommation, avec beaucoup moins dʼégards que les crânes et les mandibules : leur accumulation pêle-mêle, contre la palissade du péribole, ou sur le sol de la galerie qui lui succèdera au 1er siècle avant notre ère, revêtait au terme des cérémonies lʼaspect dʼun vulgaire dépotoir. Les boissons alcoolisées entretiennent, elles aussi, un lien symbolique étroit avec le sacrifice sanguin : au sang animal correspond le vin végétal, qui en emprunte la couleur et les vertus charismatiques, « sang de la terre » assimilé à celui des guerriers, offert aux héros défunts ou aux divinités souterraines42. En Gaule comme dans la liturgie gréco-romaine, viande et vin se complètent dans lʼexer- 40 Poux et al. 2002, p. 104. Cité par Athénée, Deipnosophistes IV, 36. 42 Poux 2001. 41 —180— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain cice conjugué du sacrifice et de la libation, accomplie par la pénétration du liquide dans le sol ou son évaporation. Le sang des victimes animales et le vin importé dʼItalie semblent jouer, à Corent, un rôle parallèle dans lʼexercice du culte et sa représentation, à travers les dépôts accumulés dans lʼenceinte du sanctuaire. Cette complémentarité se traduit, physiquement, par des aires spécifiques dédiées à lʼun et lʼautre rituel. Il a été démontré que lʼenclos A et les aménagements qui le bordaient au nord étaient principalement voués aux activités de boucherie animale, de cuisson et de consommation des viandes. Ce ne semble pas être le cas de lʼespace situé plus au sud, devant lʼenclos B, où les vestiges animaux sont beaucoup plus rares et épars. Il se caractérise, en revanche, par dʼimportantes accumulations dʼamphores entières et fragmentées, disposées autour de cuves en bois enfouies dans le sol. Dans cet espace a sans doute transité lʼessentiel du vin importé sur le sanctuaire – plus de vingt mille litres, dʼaprès le nombre dʼamphores comptabilisées à ce jour, qui atteint le millier dʼunités ! Les consommations et les libations de vin sʼy déroulaient selon un rituel de mieux en mieux établi : débouchées ou « sabrées » à coup de lame, les amphores étaient vraisemblablement vidées dans les cuves pour le mélange cérémoniel et leur distribution. A lʼinstar du sang animal, une partie du breuvage était « bu » symboliquement par les divinités souterraines, par un orifice ménagé au fond des cuves. Le reste du récipient, volontairement brisé, suivait un parcours similaire à celui des ossements : dispersé aux abords du péribole ou accumulé contre la façade des bâtiments, en guise de décoration. 4.4 A la table de Luern Ces vestiges rétablissent lʼauthenticité le fameux texte de Poseidonios dʼApamée concernant les festins arvernes, écho dʼun récit collecté lors de son voyage en Gaule interne à la charnière des IIe et Ier s. av. J.-C. Daté sans plus de précision « en des temps plus anciens », il évoque les frasques du chef gaulois Luern (Louernios), en campagne électorale chez les Arvernes au second siècle avant notre ère : « Pour gagner la faveur de la multitude, il se faisait transporter sur un char à travers les campagnes, et jetait de lʼor et de lʼargent aux myriades de Celtes qui le suivaient. Il faisait enclore un espace de douze stades carrés, sur lequel il faisait remplir des cuves avec des boissons dʼun grand prix, et préparer de telles quantités de victuailles que, plusieurs jours durant, il était permis à ceux qui voulaient entrer dans lʼenceinte de goûter aux mets quʼon avait préparés et qui étaient à disposition sans interruption.43 » Taxé de purement légendaire ou renvoyant à une époque bien plus ancienne (Hallstatt), ce témoignage est régulièrement remis en cause par les exégètes et spécialistes de la période. Ce, en dépit de la mention du chef historique Luern (père de Bituit, défait par les armées romaines en 121 av. J.-C.) et des nombreux détails matériels compatibles avec la date du récit (mention de monnaies, de vin dʼItalie...). La réalité de ces pratiques est aujourdʼhui confortée par lʼarchéologie, tant sont nombreux les points de convergence avec les vestiges mis au jour sur lʼensemble de la Gaule44, et dans les fouilles de Corent, en particulier. Le chiffre de douze stades (800 mètres) avancé pour les enclos de Luern, peut-être exagéré, traduit bien la monumentalité dʼune puissante palissade du type de celle qui enceint le sanctuaire de Corent, reconnue sur plus de 200 mètres de circonférence. Sans compter que lʼespace dédié au culte et aux festins sʼétendait, au vu des sondages et des clichés aériens, bien au-delà du téménos stricto sensu. Lʼessentiel, dans les deux cas, est quʼil sʼagit dʼune structure spécifiquement dédiée à la pratique du banquet. Tous les détails matériels du festin gaulois, tel que décrit à la suite du récit de Luern, trouvent leur correspondant dans les fouilles de Corent : chaudrons et crocs à viande, quʼimplique la mention de viandes « grillées et bouillies », poissons, amphores de vin, vases à boire, épées, boucliers... Les amas dʼamphores fouillés au centre du sanctuaire renvoient directement à ces « cuves » remplies de boissons de grand prix, qui garnissaient les grands enclos de Luern : le terme de lènous désignant sans équivoque des baquets aménagés à même le sol (Poux 2004). La véracité du récit transparaît encore, à Corent, derrière les centaines de monnaies figurant parmi les vestiges de repas. Lʼatelier monétaire mis en évidence à lʼentrée du sanctuaire illustre très concrètement lʼallégorie du chef arverne distribuant des pièces à la volée du haut de son char, qui peut sʼexpliquer dans la mesure où il les produit à volonté, dans sa propre officine monétaire (Poux et al. 2002, 2003). Le fait quʼon y ait également trouvé des pièces dʼornement de char en fer et en bronze, sʼil ne doit évidemment pas être pris à la lettre, est tout aussi significatif : char et armement caractérisent une aristocratie habilitée à frapper monnaie et à la redistribuer aux populations, que ce soit sous la forme dʼespèces sonnantes et trébuchantes, ou de victuailles consommées lors des festins. Ces « guerriers attablés à la table des dieux » – pour reprendre lʼexpression de J.-L. Brunaux –, ces aristocrates gaulois réunis en armes dans de vaste enclos du type de celui de Corent, pour y festoyer et y frapper des pièces à leur image, sʼy faire élire ou introniser par des populations acquises à force de largesses, sont nommément cités par les sources : Vercingétorix en personne, dont César affirme quʼil savait mobiliser les foules et dont Florus précise quʼil fomenta la grande insurrection de 52 av. J.-C. lors de banquets organisés dans les sanctuaires45, 43 Cité par Athénée, Deipnosophistes IV 37, 1-19. Poux 2001, 2002. 45 Epitoma III, 10. 44 —181— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain perpétuant ainsi une pratique instituée un siècle plus tôt par le « démagogue » Luern. Cette filiation est confortée par lʼimage monétaire qui caractérise la principale espèce frappée à Corent (plus de 350 pièces, soit près de lʼeffectif recueilli sur le sanctuaire), un bronze de petite taille orné dʼun renard dressé sur une roue de char selon les variantes. Le choix du renard, très rare par ailleurs sur les monnayages contemporains, est dʼautant plus significatif quʼil peut être corrélé aux crânes de carnassier découverts aux abords de lʼentrée du sanctuaire : avec plus dʼune dizaine dʼindividus, cette espèce domine clairement au sein des dépôts, qui comprenaient également quelques crânes de loups, de chiens et de chats sauvages, exposés de manière emblématique à lʼentrée du péribole. De cet animal découle le nom même de Luern, apparenté à lʼitalo-celtique *luperno/luperna46. La convergence des indices archéozoologiques, numismatiques et onomastiques est suffisamment probante pour quʼon sʼautorise à établir un lien entre ces vestiges et le texte de Poseidonios. En dépit de son caractère historique et symbolique, le récit des banquets électoraux du démagogue Luern est matérialisé à Corent par des vestiges bien concrets, qui ont pu inspirer les témoignages et les observations personnelles réunis par lʼauteur au cours de sa périégèse. La chronologie du site, en activité du troisième quart du IIe s. av. J.-C. au milieu du siècle suivant, ne sʼoppose pas à cette hypothèse. Le fait que ces festivités soient localisées chez les Arvernes, au centre de lʼoppidum qui constituait sans doute leur capitale à lʼépoque de Luern et de dite, ne rend le récit que plus plausible : Poseidonios, sʼil nʼy a pas forcément participé en personne, a pu y rencontrer des témoins directs de ces pratiques, dont il précise fidèlement lʼorigine secondaire. 4.5 Après la Conquête Les festins à grande échelle consécutifs au sacrifice sanguin représentent, à Corent, une pratique spécifique à la fin de lʼâge du Fer. Les vestiges de consommation carnée et vinaire sont, par contraste, pratiquement inexistants dans les niveaux postérieurs à la conquête romaine. Cette absence est masquée par la part très importante de mobiliers issus des couches inférieures : nombreux ossements de caprinés mêlés à des tessons dʼamphores Dressel 1 aux cassures usées, ainsi quʼà dʼautres objets attribuables sans équivoque à lʼépoque gauloise (fibules de Nauheim, monnaies indigènes). Cette part résiduelle reste évidemment difficile à évaluer en ce qui concerne les ossements. En revanche, lʼabsence totale de tessons dʼamphores attribuables à la période impériale47 marque une profonde rupture dans lʼhistoire du site. Sʼil nʼest pas entièrement exclu que le 46 47 vin ait été importé dans des contenants périssables (outres et tonneaux), la disparition des vestiges de festins sʼassortit dʼautres indices témoignant dʼune baisse de fréquentation du sanctuaire. La monumentalisation des structures au Ier siècle de notre ère coïncide, paradoxalement, avec une nette raréfaction des offrandes, tant céramiques que métalliques. Toutes catégories confondues (céramique, ossements, monnaies, instrumentum), lʼécart statistique qui sépare les mobiliers attribuables par leur typologie aux époques laténienne et romaine sʼétablit a minima de un à cent. Il semble logique que le sanctuaire ait connu une fréquentation beaucoup plus épisodique, suite au transfert démographique et politique qui sʼopère, à partir du milieu du Ier s. av. J.-C., entre lʼoppidum de Corent et le site voisin de Gergovie, puis de Clermont-Ferrand. La nature des objets témoigne, à cette époque, dʼune personnalisation du rituel : des pratiques alimentaires collectives, chargées dʼune dimension aristocratique et guerrière, à lʼoffrande individuelle de monnaies et de petits objets de parure, commune à tous les sanctuaires gallo-romains de cette période. Le sacrifice animal, en revanche, y demeure un élément central du culte, comme en témoigne la pérennité des aménagements dévolus à sa pratique (fig. 2). La structure rectangulaire érigée au début de lʼépoque romaine à lʼemplacement du bâtiment septentrional, démantelé à lʼépoque de la conquête, en reprend fidèlement le tracé. Ce processus de reconstruction est impossible à mettre en évidence pour le bâtiment méridional, très fortement arasé sous lʼaction des labours : il apparaît cependant probable eu égard aux règles de symétrie qui prévalent pour les sanctuaires de cette époque — le sanctuaire de Corent constituant probablement le prototype dʼun plan géminé, repris à lʼépoque augustéenne sur le sanctuaire voisin de Gergovie. À un stade ultérieur, cette conformité au plan dʼorigine sʼillustrera par lʼédification dʼun grand fanum à lʼemplacement même de la structure sur poteaux, dont on a supposé plus haut quʼelle était déjà dédiée à la découpe et à la cuisson des animaux. La superposition des structures établit indubitablement un lien de continuité, aussi bien architectural que fonctionnel, avec le sanctuaire laténien. Si lʼon admet quʼà lʼinstar dʼautres édifices cultuels connus pour le Haut Empire, les bâtiments romains ont pu être associés à des autels ou à des foyers ce que lʼarasement des sols ne permet pas de vérifier, leur fonction bien établie par ailleurs conforte rétrospectivement celle assignée aux structures gauloises sous-jacentes. Du point de vue des pratiques sacrificielles, ce processus de continuité porte davantage sur la forme que sur le contenu. Pour autant que lʼétude des vestiges osseux permette dʼen juger, le choix des animaux et leur traitement Hypothèse développée plus en détail dans Poux (à paraître). La situation est moins tranchée pour la période située entre la conquête romaine (52 av. J.-C.) et le changement dʼère, au cours de laquelle le type Dressel 1 est encore importé sporadiquement. Elle lʼest davantage pour le Haut-Empire, où il disparaît de la circulation —182— PARTIE 3 : Entre passé gaulois et présent romain obéissent désormais à de nouvelles normes, propres à la liturgie romaine. Les critères de sélection des espèces, relativement constants pendant toute la durée dʼactivité du sanctuaire laténien, nʼévoluent quʼaux alentours de la conquête. Les « derniers festins » qui accompagnent et célèbrent la reconversion du sanctuaire, au lendemain de la guerre des Gaules, ont lieu sous lʼégide des nouveaux maîtres du territoire, acquis aux nouveaux préceptes alimentaires et rituels introduits par lʼoccupant romain48. Ces changements sont documentés par les derniers épandages qui jonchent le niveau de sol de la galerie du péribole, en cours dʼétude. Lʼanalyse détaillée des os issus de lʼun des trous de poteau de la galerie (TP 10135) indique une première tendance. Enfouis aux alentours de la conquête, ils documentent un faciès différent de celui attesté précédemment, qui semble généralisable à lʼensemble des dépôts du péribole datables de la même période : diminution de la part des caprinés au profit de celle du porc, apparition des volailles, absence de sélection des parties. Cette différence a également une origine fonctionnelle, puisquʼil sʼagit de reliefs de consommation primaires. Elle ne correspond pas moins à une évolution mise en évidence sur dʼautres sanctuaires de la Gaule, fondés ou réoccupés après la conquête49. Des dépôts dʼos de volailles incinérées ont dʼailleurs été mis en évidence en plusieurs points du sanctuaire, rassemblés dans de petites cavités creusées dans les sols dʼépoque romaine : lʼun de ces dépôts a été enfoui au cœur de lʼespace sacrificiel, à lʼintérieur du fanum qui succède au petit enclos A. Lʼimmolation de petits animaux, dont les entrailles ou chairs étaient consommées par un nombre restreint de convives, correspond à une pratique bien attestée dans la religion gallo-romaine. À lʼinstar de lʼoffrande de petits objets, ces sacrifices étaient vraisemblablement accomplis à titre individuel, par les prêtres en charge de lʼentretien du site et les visiteurs de passage. Leur maintien sur le sanctuaire de Corent, à lʼécart de toute agglomération importante, avait sans doute une valeur plus symbolique que politique. Délaissé au profit des grands centres religieux édifiés à la périphérie dʼAugustonemetum, il se mue au fil des décennies en lieu de mémoire, dénué de tout enjeu pour les élites locales : jonchés dʼos de caprinés et de tessons dʼamphores, la surface du sanctuaire et ses abords témoigneront, des siècles durant, des frasques électoralistes de leurs prédécesseurs. 48 49 Bibliographie Bourgeois L. (1999) Le sanctuaire rural de Bennecourt (Yvelines). 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